La dégradation de l’infrastructure et la faiblesse des trafics des lignes classées « UIC 7 à 9 » conduit trop souvent et trop rapidement à leur condamnation. Il semble nécessaire de statuer au cas par cas sur le potentiel et l’avenir de ces petites lignes. Bruno Meignein, chargé d’études ferroviaires au Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement), parle d’un cercle infernal, de ses causes et des moyens d’en sortir.
Entre dégradation de l’infrastructure, faiblesse des trafics et importance des subventions, une partie considérable du réseau ferroviaire reste menacée. Malgré les efforts des régions, la pensée dominante se résume toujours par la formule « pas de trafic -> pas de potentiel -> pas d’avenir ». Cette tribune vise à montrer que l’on confond causes et symptômes – ces derniers étant mal mesurés – dans un jeu d’acteurs qui n’incite pas à rechercher l’optimum. Nouvelle évaluation du réseau et amélioration de l’exploitation sont des préalables indispensables avant de statuer au cas par cas sur le potentiel et donc l’avenir des petites. Pour chacune d’entre elles, cet avenir est clair : la fermeture pure et simple, ou l’utilisation maximale et optimale des moyens à disposition, compte tenu de la demande. Conserver des actifs coûteux pour quelques circulations quotidiennes rend l’effort public par voyageur insensé. Mais encore faut-il raisonner en centimes d’euro par voyageur.km et non pas en euros par train-km. Et intégrer dans notre culture ferroviaire la place centrale que doivent occuper les études d’exploitation.
Les petites lignes sont-elles un grand problème ?
Les lignes « UIC 7 à 9 », supposées correspondre au réseau secondaire, représentent en 2018 pas moins de 44 % du réseau ferré national, soit 12 500 kilomètres de lignes, qui se divisent en deux groupes : 3,400 km n’accueillent que des trains de fret pour des dessertes locales – sujet à part entière que nous n’aborderons pas ici – et 9 200 km sont parcourus par des trains de voyageurs, essentiellement des TER. Il s’agit globalement des sections les moins utilisées du réseau, ce qui est au coeur de la problématique. Sur ces 9 200 km, il faudrait mobiliser plus de cinq milliards d’euros pour assurer le renouvellement d’environ 6 500 kilomètres devant être traités dans les dix prochaines années, selon SNCF Réseau. C’est beaucoup, pour un trafic modeste. Mais l’achèvement d’Eole à lui tout seul est d’un coût d’investissement assez voisin (six milliards d’euros, matériel roulant inclus), financé par la collectivité.
Par ailleurs, il n’échappera à personne que devoir rénover 70 % du réseau « secondaire » sur dix ans n’est pas une situation normale. Traiter ces lignes serait d’abord un rattrapage après des décennies de sous-investissement – permettant de plus de baisser fortement les coûts de maintenance et de supprimer les ralentissements – là où les opérations de grande envergure sur le réseau structurant engloutissent régulièrement milliards sur milliards d’argent public. Trois milliards d’euros pour renouveler tous les trains du RER A ; neuf milliards envisagés pour le seul tunnel du projet Lyon – Turin ; peut-être 38 milliards pour le Grand Paris Express. Les 18 milliards de surcoûts de ce dernier projet, appliqués au réseau TER dans son ensemble, n’en feraient peut-être pas un système de qualité suisse, mais on s’en approcherait.
Autre élément régulièrement mis en avant : ces lignes sont largement déficitaires, au quotidien. Chaque train coûte plus qu’il ne rapporte. Certes, mais les RER et Transilien sont dans la même situation, et dans des proportions en valeur absolue bien plus pesantes pour les finances publiques.
Raisonner uniquement en valeur absolue n’est pas satisfaisant mais évacuons d’emblée les extrêmes : abandonner la totalité des lignes UIC 7 à 9 ne sauvera pas la dette de SNCF Réseau. À l’inverse, certaines lignes font figure de causes perdues. Il faut donc faire des choix, ce qui renforce le besoin d’une bonne grille d’évaluation du réseau.
Groupes UIC : porte-t-on les bonnes lunettes ?
Il est d’usage de distinguer « petites » et « grandes lignes » par la classification UIC, harmonisée au niveau européen par l’Union internationale des chemins de fer (UIC), d’où son nom. Or, son critère de calcul est le tonnage. Plus la voie est chargée, plus l’on s’approche du groupe UIC 1, et inversement les lignes UIC 9 sont celles qui supportent le tonnage le plus faible. Rien de plus logique pour un indicateur destiné à définir une politique de maintenance des voies. De là à l’utiliser comme outil stratégique pour l’évolution du réseau voyageurs, il y a un pas que d’aucuns ont franchi sans trop de précautions. Rennes – Saint-Malo, 50 trains par jour dont huit TGV, est ainsi classée UIC 7, donc « petite ligne » !