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111) Overnight Express, Joan Miró,Francisco de Goya. La nuit européenne (cet article est tiré de nos archives, il date d’il y a 20 ans)
Amsterdam – Milan, Paris – Madrid, Paris – Barcelone, nouveau Servicenuit des trains français… La couchette qu’on envisageait hier encore d’abandonner fait aujourd’hui un retour remarquable sur les lignes européennes. L’amélioration de la sécurité et surtout de la qualité des services sont les clefs de ce renouveau. De l’accueil en gare au réveil, en passant par l’aménagement des voitures et la restauration, le train de nuit a su séduire les clients. Invitation au voyage.
Amsterdam – Milan. Une liaison mixte voyageurs-fret
L’Overnight Express, qui relie Amsterdam et Milan, se veut la vitrine du futur train de nuit. Il mixe voitures de voyageurs et wagons de fret. Les chemins de fer hollandais n’ont pas lésiné sur les moyens, comptant sur ce projet pilote pour séduire les voyageurs européens.
C’est une liaison presque comme une autre, mais un train d’une composition vraiment pas comme les autres, parsemé de quelques voitures de la génération à venir… Entre Amsterdam et Milan, la nouvelle liaison nocturne Overnight Express mise sur toute une série de nouveautés. C’est un train de nuit avec voitures couchettes et wagons de fret. Ce sont aussi les premières concrétisations sur rails de celles que l’on dénommait, dès 1994, « les voitures-lits de demain ». Et c’est, en résumé, la confirmation de l’attrait retrouvé de trains de nuit, hier délaissés. C’est incontestablement au réseau de chemins de fer hollandais, les NS, que l’on doit attribuer le mérite d’une redécouverte qui semble déjà florissante. Tout cela porte un nom, l’Overnight, un train qui relie quotidiennement, à l’exception du samedi, la Hollande et l’Italie depuis le 28 mai 2000. Sa mise en place résulte d’une réflexion toute simple : entre Amsterdam et Milan, il n’y avait pas assez de voyageurs pour justifier une liaison toute l’année, surtout hors saison estivale. Mais, parallèlement, il existait un marché très intéressant pour le fret, des fleurs aux pièces d’ordinateurs, des produits laitiers aux huiles, tomates et olives… qui ne pouvait toutefois se suffire à lui seul. D’où l’idée de mixer les deux créneaux. « La première idée de cette sorte en Europe ». Avec en composition habituelle six voitures fret et six voitures voyageurs – deux voitures- lits, deux voitures couchettes et deux avec places assises-, Overnight a donc été lancé comme un « projet pilote » en grandeur nature, susceptible de faire école rapidement. Sa composition peut d’ailleurs varier en fonction des périodes, avec un maximum de douze wagons fret contre deux ou trois voitures voyageurs ou, à l’inverse, les vendredis, huit voitures voyageurs et quatre wagons fret. Le projet est novateur et donc, naturellement, risqué. Un risque bien calculé si l’on examine les premiers chiffres, qui donnent largement raison à ses promoteurs. Au bout de trois mois, la liaison enregistrait 15 000 voyageurs, alors que les wagons fret étaient remplis à 70 %. Et environ 70 % des acheminements sont effectués dans le sens Amsterdam – Milan. Pour les responsables des NS, tel Ton Meeles, chargé de l’ensemble de l’activité trains de nuit, « tout cela va dans le bon sens. Côté voyageurs en particulier, puisque nous avons misé au bout d’un an sur 60 000 clients avant de décider d’élargir l’expérience ». Elle entre, en fait, dans la lignée d’une stratégie nouvelle amorcée voici trois ans aux Pays-Bas. « A ce moment, on s’est posé une simple question faut-il maintenir ou non les trains de nuit ? Et si l’on voulait continuer, on s’est accordé pour estimer qu’il fallait faire quelque chose de significatif » Il y a donc eu des investissements pour des wagons Pulllman, la rénovation de couchettes et, côté services et accueil, les dîners et petits-déjeuners inclus dans le prix du transport. En trois ans, cela a entraîné une progression de 10 % par an de la fréquentation de ces trains « réguliers ». L’Overnight arrive donc dans un contexte prometteur. « Nous devons montrer que, si l’on investit, nous pouvons avoir un retour d’argent. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons beaucoup investi dans le projet pilote. » Une somme estimée, pour chacune des quatre premières voitures, entre huit et dix millions de francs. Si, au final, le projet pilote est un succès, il faudra aussi étudier la fabrication de nouveaux wagons pour le fret, pour placer directement des conteneurs, certains climatisés, d’autres réfrigérés. Des wagons fret qui roulent à la même vitesse que les voitures passagers, à 160 km/h. Afin d’arriver encore plus vite en Italie. Et ainsi creuser l’avantage du rail par rapport à la route. Le progrès est déjà notable, puisqu’auparavant, il fallait une trentaine d’heures aux trains de fret pour relier Amsterdam à Milan, sans garantie de temps de parcours précis. « Déjà, il n’y a pas de camion qui peut légalement faire ce saut de nuit, pendant treize heures, sans arrêt entre la Hollande et l’Italie. Et 98 % de nos trains arrivent à l’heure. Nous devons montrer qu’il est possible de donner une autre dimension européenne au fret. Et en temps de parcours, on peut encore faire mieux », se félicite par avance Ton Meeles. Pour les voyageurs, le trajet se fait sans rupture de charge d’Amsterdam à Milan, en passant par Cologne, Bâle, Chiasso… On compte seulement des arrêts techniques en Allemagne et en Suisse, où des possibilités d’arrêts liées à des acheminements de fret sont sérieusement étudiées.
L’Overnight a une année pour convaincre et, dans ce cas, rapidement faire école. Si le « prototype » s’avère convaincant, à la mi-2001, les NS doivent décider de nouveaux investissements. Après Milan, « première idée de cette sorte en Europe », six autres destinations sont d’ores et déjà préconisées pour devenir des trains de nuit « mixtes », certains ayant surtout un fort potentiel voyageurs, d’autres étant avant tout liés au fret. Ce sont Berlin, Munich, Bâle, Vienne, Lyon et Marseille, six axes qui se veulent le prélude à une renaissance des trains de nuit. Sans attendre, entre Amsterdam et Milan, l’Overnight Express veut déjà croire en son avenir .. Quelque trente années après la disparition, sur cette liaison, du mythique Riviera Express.
Paris-Barcelone. L’hôtel sur rails
Le Joan Miró va détrôner le Francisco de Goya, qui relie Madrid. Avec une hausse de fréquentation de 10 %, la ligne Paris – Barcelone attire les touristes aussi bien que les hommes d’affaires. C’est que le voyage offre à la fois les prestations d’une hôtellerie haut de gamme et l’assurance d’arriver à destination tôt le matin.
Juan Carlos Ponce l’avoue sans détours : d’ici la fin de l’année, le Joan Miro devrait détrôner en fréquentation le jusqu’alors indéboulonnable Francisco de Goya. Autrement dit, pour le délégué TTTP à Barcelone, la liaison par Trenhotel Paris-Barcelone devrait passer, en termes de fréquentation, devant le Paris -Madrid. Pour ce responsable sur Barcelone du TTTP -Trenes Talgo Trans-Pirineos -, Groupement européen d’intérêt économique (GEIE) entre la Renfe et la SNCF, dont ce sont les deux relations les plus achalandées, c’est un événement. Régulière depuis 1998, la progression de la fréquentation du Joan Miro frôlait les 9 % en 1999, par rapport à 1998. Et les prévisions pour 2000 mettent déjà nettement au-dessus des 10 % la progression escomptée. Les nouveaux venus viennent avant tout de France. Cette clientèle atteint en effet les 30 % – pour 64 % de clientèle espagnole -, contre moins de 15 % voici seulement trois ans. Autres résultats, tout aussi encourageants : la fréquentation moyenne des rames – dont la composition « basique » procure 170 places – se situe entre 85 et 86 %. Mais lors de périodes telles que les fêtes de Pâques ou Noël, des trains à destination de Paris offrant 400 places – avec 34 voitures au maximum, d’une lon gueur supérieure à 500 m – sont bien à l’avance réservés à 100 %. En juillet et août, on recense aussi 100 % d’occupation. Les raisons du succès sont diverses.
La renaissance des voitures-lits
« A la découverte des voitures-lits de demain » : c’était en mai 1994, (La Vie du Rail du 15 mars 1994), en ces temps où la Compagnie des Wagons-Lits lançait une opération de séduction pour ramener dans les couchettes les voyageurs infidèles. On y évoquait Erasmus, « un palace sur roues », en fait une maquette en vraie grandeur (photo ci-dessus). On y décrivait, aussi, les futures voitures MUn, dérivées des voitures MUn, avec le« n », indice de leur nouveauté, et des aménagements intérieurs totalement originaux, signés par le designer Jean-Michel Wilmotte. Dans ses ateliers d’Ostende, la Compagnie des Wagons-Lits allait alors lancer la construction de voitures-lits. C’était en fait « un acte de foi en une véritable renaissance du trafic, allié à la volonté de créer une dynamique propre à convaincre les réseaux tout en les incitant à investir », expliquait alors le directeur général Trains de nuit de la filiale ferroviaire du groupe Accor. C’était un prototype pour tenter de faire bouger un peu les réseaux ferrés. Dans le cadre d’un plan de cinq ans, une première tranche de 40 millions de francs était débloquée. Les quatre premières voitures MUn devaient être livrées à la mi-96. C’est chose faite, avec les NS. Il a toutefois fallu attendre l’an 2000. Si le « prototype » Amsterdam-Milan trouve son public, on envisage la fabrication de trente, puis soixante voitures-lits. Dès aujourd’hui, pour les quatre « prototypes » roulant d’Amsterdam à Milan, la suite – la plus chère – est en général la première réservée. « Le très luxueux est très demandé. Les gens qui voyagent pour le plaisir sont prêts à payer pour le confort », résume Ton Meeles, responsable en Hollande des trains de nuit.
Elles tiennent bien sûr à Barcelone, « la destination à la mode », bénéficiant des infrastructures nées lors des JO de 1992, qui commence même à faire de l’ombre – du moins concernant la fréquentation touristique – à Madrid. Elles tiennent aussi à la qualité haut de gamme du service assuré et à l’ambiance d’un train-hôtel convivial, aux voitures originales, où le slogan retenu pour les quatre liaisons assurées par le GEIE, « El arte de Viajar », l’art du voyage, prend tout son sens. C’est séduisant pour le touriste. Il peut, pour un prix modique, opter pour les sandwiches chauds, déjeuner au bar d’un plateau « combinado » avec une viande ou un poisson grillé accompagné de légumes, choisir les produits proposés au restaurant, ou plus simplement y boire dans une ambiance assurée du départ du train jusque – parfois – au petit matin.
C’est aussi attractif pour l’homme d’affaires qui peut profiter d’un repas digne des bonnes tables, bénéficier d’un cabinet de toilette avec douche, et arriver à Paris ou Barcelone en début de journée. La « grande classe » enregistre d’ailleurs un très fort niveau d’occupation, depuis son incorporation en juin 1999 sur tous les parcours, incluant le petit- déjeuner et le dîner. Signe d’une indéniable réussite, le GEIE a d’ailleurs de réelles difficultés pour faire face à la demande. Le Miro a su séduire la clientèle française, mais aussi celle en provenance d’Amérique du Sud et du Nord. Pour ces touristes, le tour d’Europe en train de nuit a un succès croissant. Rencontres et dialogues dans une ambiance garantie. Un véritable train international où l’on peut partout payer en monnaie d’une bonne quinzaine de pays différents, du franc au yen.
« Je pense que l’avenir du train de nuit, c’est le train-hôtel. Quand la qualité et le service sont au rendez-vous, le client est prêt à payer.» résume un responsable des Wagons- Lits. Reste à savoir si ce modèle franco-espagnol est exportable dans d’autres pays, voire pour les trains de nuit franco-français.
Les nuits françaises. Un service très bien compris
Jusqu’en 1997, les trains de nuit perdaient chaque année près de 2 % de leur clientèle. Un an plus tard, une opération de « mise en qualité » permet à la SNCF d’inverser la tendance. Aujourd’hui, la mise en place du Service-nuit, grâce à l’amélioration de la sécurité et de la qualité des services, a donné une tout autre ampleur à ces premiers succès.
Ce ne sont que de premiers chiffres, mais ils sont d’ores et déjà franchement encourageants. Depuis le lancement du Service-nuit, le 28 mai dernier, la fréquentation des treize liaisons nocturnes concernées connaît une progression certaine : une hausse de 17 % en juin, de 5 % en juillet, de 3 % en août. Même si la hausse est plus limitée en période estivale, classiquement forte pour les trains de nuit, les chiffres sont donc encourageants, surtout dans un contexte où les trains de nuit perdaient régulièrement de leur clientèle, de 1 à 2 % par an entre 1990 et 1997. Une première « opération de mise en qualité » – avec une bouteille d’eau, un kit de voyage, le lit fait en première -, en avril 1998, avait suffi pour faire s’inverser la tendance. Cette fois, l’initiative liée à la mise en place du Service-nuit prend une autre ampleur. Derrière la couette aux joyeuses couleurs remplaçant les sacs à viande, il s’agissait en fait de miser sur une nouvelle façon de concevoir l’ensemble du service, de l’accueil en gare à l’offre d’une bouteille d’eau et d’un kit de voyage.
L’impact a donc été immédiat. Non seulement sur la fréquentation mais aussi, et encore davantage, sur le chiffre d’affaires. Alors que l’on envisageait une hausse de ce chiffre inférieure à celle de la fréquentation, en fonction de l’extension de la période blanche et des tarifs commerciaux, l’effet est inverse. Les recettes ont ainsi augmenté de 26 % en juin, 7 % en juillet, 6 % en août. L’explication est simple : elle tient avant tout à la mise en place sur ces trains de nuit d’un « accueil filtrage » quasi systématique avant le départ du train. Pour entrer, il faut montrer son billet. « Le système est extrêmement efficace. Pour monter ; il faut avoir payé. Dans le même temps, les contrôleurs dressent moitié moins de procès- verbaux » se félicite Bénédicte Tilloy, directrice du projet TRN, correspondant à la fois à ces trains de nuit et aux futurs Corail.
Parallèlement, une étude a été menée par l’institut Ipsos, en août. Une période de forte activité, avec beaucoup de clientèle occasionnelle, de familles, de jeunes, 92 % des clients se déclarent satisfaits, dont 38 % très satisfaits. 78 % disent que ce nouveau service va les faire voyager davantage en train de nuit (contre 64 % après la première mise en qualité). 95 % estiment que cela améliore l’image de l’entreprise, dont 53 % s’affirmant « tout à fait d’accord » avec cette affirmation.
De façon globale, les trois quarts des clients interrogés ont « vu la différence ». Pour l’illustrer,63 % citent spontanément les couettes, 36 % la bouteille d’eau. Lorsqu’on leur demande ce qu’ils jugent indispensable, c’est la climatisation qui vient en tête, suivie de l’organisation de la numérotation des voitures, dont la compréhension est facilitée par l’exploitation en rame-bloc (avec une composition toujours identique des rames) des voitures. Puis, viennent la bouteille d’eau et la couette. Seule reste vraiment trop méconnue la mise en place de distributeurs automatiques avec plats chauds et froids, café et friandises, qui n’est pas encore passée dans les habitudes.
Bénédicte Tilloy tire quelques premières leçons, positives : « Beaucoup considèrent que pour remettre au goût du jour le train de nuit, il faut des mesures draconiennes, passant par une évolution significative du matériel. Avec ce Service-nuit, on voit que les éléments liés au service ont leur part, équivalente avec le reste. Les éléments de service, ce n’est pas une cerise sur le gâteau. Voir la couette, la bouteille d’eau immédiatement derrière la climatisation, cela montre que des attentes simples arrivent presque à égalité avec d’autres beaucoup plus lourdes. » Tout ceci en partant, pour le Service-nuit comme pour l’ensemble de ceux que l’on nomme encore TRN – ou futurs ex-Corail – d’une nouvelle démarche : « On réinvente le train en partant de l’intérieur, pas comme un objet technologique. En imaginant la vie à l’intérieur. Et ça marche, grâce à toute une chaîne de services, assurés par une chaîne de personnes où chaque maillon tient. De ceux qui mettent en place les couettes à la Suge qui gère l accueil, en passant par le personnel des wagons-lits, les contrôleurs, ceux de l’escale. Le client est plus content, le personnel plus mobilisé. »
D’autres éléments intéressants sont tirés du sondage Ipsos, à contre-courant des dernières tendances affirmées : 87 % des clients y affirment s’être sentis en sécurité dans le train. Un enjeu majeur lorsque l’on sait que l’aspect sûreté (pour la SNCF, sécurité pour les autres) était l’un des principaux sujets d’inquiétude lors de la relance annoncée des trains de nuit. L’autre sujet de doute des promoteurs du Service-nuit tenait au prix de la couchette, passant de 90 à 99 francs, qui contribue d’ailleurs de façon marginale à la hausse du chiffre d’affaires. « A notre étonnement, 73 % des clients trouvent ça normal, voire pas cher par rapport à l’évolution du service », note Bénédicte Tilloy. Lors du lancement du Service-nuit, la SNCF estimait à 10 % la hausse de trafic espérée, dont 6 % pour pennettre l’amortissement des frais engagés. Mais elle ne pensait pas alors à une hausse du chiffre d’affaires supérieure à celle du trafic. Pour le moment, les comptes sont donc bons. En octobre, un second sondage va être mené. Et l’évolution des chiffres de fréquentation sera une fois scrutée à la loupe. Afin de voir si sur des mois habituellement plus creux, le service nouveau est tout aussi bien compris.
Cet article est tiré du n°2768 de La Vie du Rail paru le 20 octobre 2000 dont voici la couverture :