Si un avocat des parties civiles évoque des « essais mal conçus avec du personnel mal formés », le procès devra déterminer les responsabilités et les obligations de chacun, entre le maître d’ouvrage SNCF Réseau, l’organisateur des essais Systra, et les conducteurs de SNCF Mobilités.
Systra, le 18 décembre, SNCF Mobilités le 20 décembre. Les deux entreprises ont été convoquées la même semaine chez les juges d’instruction chargés de la catastrophe d’Eckwersheim : le déraillement du train d’essai de la LGV Est deuxième phase, qui, le 14 novembre 2015, avait causé la mort de 11 personnes. Les deux entreprises s’attendaient à être mises en examen, ce qui leur donnera accès à l’ensemble du dossier. Elles ont rejoint ainsi les trois personnes qui l’ont été le 12 octobre 2016, pour homicides et blessures involontaires : le conducteur du TGV (salarié de SNCF Mobilités), le chef de traction (SNCF Mobilités) le « pilote » des essais (Systra). La nouvelle phase de l’instruction s’est ouverte avec la remise du rapport définitif des experts judiciaires, qui a été communiqué aux familles et aux victimes le 28 octobre. Dans la foulée, Me Chemla, avocat de parties civiles, avait demandé la mise en examen des deux entreprises. « Nous avons clairement des essais qui ont été mal conçus, avec du personnel pas formé. Nous avons aujourd’hui une nouvelle pièce qui achève d’enfoncer ce clou », disait-il alors. SNCF et Systra réservent leurs réponses aux juges d’instruction.
Le procès va refléter la complexité épineuse de la nouvelle donne ferroviaire. Le maître d’ouvrage, SNCF Réseau, a confié à Systra la responsabilité de tester la voie, la caténaire et le système de communication de la ligne en vue de son homologation par l’EPSF. Systra, pour sa part, a sous-traité à SNCF Mobilités la conduite des trains d’essai. Choix difficilement récusable, la conduite des TGV n’étant pas chose courante. De plus, l’aire d’essai étant connectée au réseau ferré national (RFN), les trains d’essai empruntaient aussi le RFN, ce qui nécessitait des conducteurs habilités pour ce faire… c’est-à-dire des conducteurs de Mobilités.
Toute la question, sachant que la survitesse est considérée comme cause unique de l’accident, va être de déterminer, dans une répartition des rôles nouvelle, jusqu’où allaient les obligations et les limites de chacun. On peut par exemple considérer que Systra, est responsable de l’organisation des essais, et donc, de point kilométrique en point kilométrique, du choix de vitesse cible que le train devait observer ; mais non de la stratégie de conduite (en l’occurrence de décélération) permettant de respecter ces vitesses cibles au point kilométrique donné et qui revenait au sous-traitant charge de la conduite.
L’assignation des responsabilités, entre fixation des objectifs et stratégie de conduite s’annonce compliquée. Elle est indispensable. Non seulement pour rendre justice aux victimes de cette première catastrophe ferroviaire de la grande vitesse. Mais aussi pour parvenir au plus vite à des règles combinant au mieux la fixation rigoureuse des responsabilités de chacun, et l’indispensable souplesse opérationnelle que permettait le vieux monde ferroviaire. Mais ce monde est révolu. Une logique de type concurrentielle prévaut, même là où il n’y a pas concurrence. Et conduit à séparer de plus en plus les rôles et responsabilités des acteurs. Ce qui n’est pas sans danger…