« J’ai rêvé́ d’elle la nuit dernière. Nous étions toujours dans le RER, cette fois elle descendait à la même station que moi. Denfert-Rochereau. Ça ne changeait pas grand-chose car elle n’avançait pas bien vite, encombrée par sa grosse valise. Étant moins chargé, je dévalais les escaliers en jetant des regards furtifs pour m’assurer qu’elle demeurait dans mon champ de vision. Son short et sa chemise avaient été remplacés par une robe, oscillant entre le rouge et le corail, une petite fleur blanche brodée sur le coeur, dans le dos un trou laissant apparaître un peu de sa colonne vertébrale et un petit grain de beauté. Je crois aussi qu’elle avait un pendentif. Ou un collier. En tout cas son cou brillait. Comment pourrait-elle s’appeler ? Émilie ? Amina ? Églantine ? Chowa ? Bérengère ? Sonia ? Laurie avec « au » ou Lorie avec un « o » ? »
Le problème – ou l’avantage selon le point de vue – des rencontres furtives dans les transports en commun, c’est que l’on ne sait rien de l’autre et qu’il faut mobiliser notre imagination pour combler les trous… Olivier Collet nous raconte l’histoire d’une rencontre dans le RER B, survenue entre l’aéroport Roissy Charles de Gaulle et le centre de Paris à travers le regard des deux protagonistes. Un garçon et une fille qui n’ont pas échangé un mot, mais qui ont été durablement marqués par cet instant. Lui rêve d’amour sans trop savoir ce qu’il désire vraiment, elle partage son trouble au téléphone avec sa copine qui rêve elle-même de trouver l’âme soeur. Deux formes de narration différentes que l’auteur parvient à faire cohabiter judicieusement.
Publié le 3 octobre dernier, ce premier roman conte finalement un évènement qui arrive très souvent dans les transports en commun, quand l’irruption du désir bouscule l’usager et laisse en lui un trouble qui perdure longtemps après le terminus. Cette rencontre fugace, cet émerveillement qui survient au détour d’un train, n’est pas sans rappeler les « Passantes » du poème d’Antoine Pol, rendu célèbre par l’adaptation de Georges Brassens : « À la compagne de voyage / Dont les yeux, charmant paysage / Font paraître court le chemin / Qu’on est seul, peutêtre, à comprendre / Et qu’on laisse pourtant descendre / Sans avoir effleuré la main »
👉 Cet article est tiré du numéro 3915 de La Vie du Rail.
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C’est le terminus pour ce service du RER! Tout le monde descend, s’il vous plait! Désormais, vos rêves les plus doux et tendres vous accompagneront lorsque vous rentrerez chez vous/à l’hôtel, accompagnés des fragments volatils d’anciens et de nouveaux romans, poèmes et chansons. Souvenons-nous toujours que l’incomparable et chère Paris [Ville Lumière et Ville Ferroviaire] contient à la fois une solitude déchirante et un antidote efficace contre celle-ci. Vive l’art nourri par l’amour et l’amour nourri par l’art!
Si l’auteur (Olivier Collet) préfère suivre les chemins sûrs de ses probables maîtres (Patrick Modiano et Yves Simon), il aura fortement un bel avenir littéraire devant lui. D’autre part, en collaborant avec lui, le cinéaste Nicole Garcia pourrait créer un joli film sentimental de ce premier roman réussi avec Ana Girardot ou Camille Rowe dans le role du héros féminin.