Dans la perspective de la lutte contre le dérèglement climatique, le train, moyen de transport faiblement carboné, fait partie des solutions d’avenir. Mais, dans ce documentaire diffusé sur France 2, on comprend que le défi reste immense pour que les chemins de fer français soient au coeur de la mobilité de demain.
Le film débute par de belles promesses présidentielles… Français Mitterrand, Nicolas Sarkozy, Jacques Chirac, François Hollande, Emmanuel Macron, ils se font tous lyriques quand il s’agit de parler de l’avenir du chemin de fer. Même si l’action ne suit pas toujours la parole. Or, alors que le transport participe à 30 % de la consommation d’énergie et 30 % des émissions de gaz à effet de serre, le train apparaît comme un levier essentiel dans la lutte contre le dérèglement climatique. Initialement diffusé le 10 décembre dernier dans le cadre du magazine d’actualité de France 5 Le monde en face, le film de Marie Lorand, Train – La nouvelle bataille du rail, tente de brosser le portrait d’une France ferroviaire en plein doute existentiel. Avec la voix de l’acteur et écrivain François Morel, dont le père était cheminot et la grand-mère garde-barrière. Cette dernière s’occupait du passage à niveau n°58 tout près de Saint-Bômer-les- Forges, sur la ligne Laval – Caen, aujourd’hui disparue.
Le premier train à circuler dans ce reportage est un rêve de luxe réservé à quelques privilégiés… De Venise à Paris, dans le confort douillet de son compartiment, les voyageurs du Venice Simplon- Orient-Express (VSOE) s’émerveillent de l’élégance et du raffinement hors normes de ce train, convoquant la nostalgie de l’âge d’or ferroviaire. Mais, derrière le glamour du VSOE, le rail cache de nombreuses difficultés. Manque de matériels roulants et de conducteurs de trains, le train peine à répondre présent sur l’ensemble du territoire, creusant dans son sillon une inégalité spatiale et temporelle.
Alors que l’État a récemment annoncé un plan de 100 milliards d’euros pour le chemin de fer d’ici à 2040, le chantier est immense. Le train est plébiscité par les voyageurs. 24 millions de Français ont voyagé cet été sur les grandes lignes, dans des TGV remplis à plus de 80 %. Mais les défis pour répondre à cette demande sont nombreux. Notamment, concernant les trains de nuit.
« Pour voyager heureux, voyagez couché ! » expliquait une campagne promotionnelle de la SNCF en 1975, alors que la compagnie ferroviaire s’enorgueillissait d’être le « premier hôtel de France. » Après une longue agonie et la disparation de la plupart des liaisons nocturnes, le gouvernement a décidé de relancer les trains de nuit. Ainsi, les voyageurs du premier train de nuit Paris-Nice, relancé le 10 mai 2021, ont eu la surprise d’entendre le Premier ministre de l’époque, Jean Castex, remplacer le chef de bord pour leur souhaiter un bon voyage !
Partout en France, des collectifs et des associations se mobilisent pour défendre les petites lignes en danger et les trains du quotidien. Au fur et à mesure que les lignes à grande vitesse se sont développées, le réseau ferré national s’est rétréci. Entre impératifs économiques et enjeux écologiques, le train a pourtant de nombreux atouts à faire valoir.
Équipés de pancartes et de ballons en forme de coeurs, plus de 200 manifestants, dont des élus locaux, s’étaient donnés rendez-vous le 14 février, jour de la Saint Valentin, dans la gare d’Argentonsur- Creuse (Indre.) Depuis cinq ans, le comité de défense de la gare réclame quatre allers-retours de trains Intercités sur la ligne Paris-Limoges-Toulouse, avec un arrêt en gare d’Argenton, à des horaires adaptés aux besoins de la population. Une demande de fréquence et de fiabilité que l’on retrouve aux quatre coins du pays.
En gare de Saint-Flour, les voyageurs regardent les TGV passer, mais ils aimeraient surtout pouvoir monter à bord d’un train ! Dans le Massif central, des élus et des habitants se mobilisent depuis plusieurs années pour sauver la ligne de l’Aubrac (387 km, également appelée ligne des Causses), et demandent que soit régénérée en 2024 une partie de l’infrastructure entre Béziers et Clermont- Ferrand. Faute de quoi cette ligne, qui comprend un des monuments ferroviaires les plus célèbres du pays, le viaduc de Garabit construit par les ateliers Eiffel, sera fermée.
En complète contradiction avec le discours volontariste des hommes politiques, de nombreuses lignes sont ainsi menacées en France. Nous suivons le voyage de Patricia Rochès, maire de la commune de Coren-les-Eaux (Cantal) et présidente-fondatrice de l’association des Amis du viaduc de Garabit (Amiga). Maillon essentiel de la ligne Paris-Béziers, le train de l’Aubrac est aujourd’hui l’ombre de lui-même. L’Etat a préféré investir massivement dans la route et l’A75, gratuite, concurrence directement le train. La ligne est stratégique pour l’usine d’ArcelorMittal à Saint-Chély d’Apcher, où est fabriqué un matériau haut de gamme, utilisé entre autres pour la motorisation des véhicules électriques.
Au sud de la Gironde, si on se mobilise, c’est contre le TGV. A Saint-Macaire, où aucun ne s’arrête plus, des élus locaux demandent de trains et fustigent l’investissement de 14 milliards d’euros pour la construction d’une nouvelle LGV entre Bordeaux et Toulouse pour gagner seulement 1 heure sur le trajet entre Paris et Toulouse…
L’histoire ferroviaire continue de s’écrire à grande vitesse. Le 6 octobre dernier, le tout nouveau TGV – M, le « TGV du futur », était présenté au Technicentre Sud-Est Européen en présence de Jean-Baptiste Eyméoud, (directeur général d’Alstom France), Jean-Pierre Farandou (PDG du groupe SNCF) et de Clément Beaune (ministre des Transports). Cette nouvelle génération de matériel à grande vitesse promet d’importants économies d’énergie. Recyclable à 97 %, le TGV M devrait en effet réduire de 20 % la consommation d’énergie et améliorer son bilan carbone de 37 % par rapport aux rames actuelles. Désireuse d’accroître rapidement son matériel pour faire face à l’engouement des Français pour le train, la SNCF a lancé un autre grand chantier : allonger la durée de vie de ses TGV. Un changement de paradigme alors qu’il y a encore quelques années, les TGV étaient radiés au bout de 35 à 40 ans d’utilisation. L’idée serait de réaliser deux opérations à mi-vie sur une rame TGV pour prolonger son utilisation alors qu’aujourd’hui seule une opération de ce type est prévue au bout d’une quinzaine d’années.
Parmi les autres réflexions pour favoriser le ferroviaire, la question du montant des péages est posée. Le montant des redevances d’utilisation du réseau ferré français est un des plus importants d’Europe. S’ils sont essentiels pour garder la capacité d’investissement dans le réseau ferré, leur coût, qui compte pour 40 % du prix du billet, est pointé du doigt. L’Italie, où le prix des péages a été fortement baissé, est souvent pris en exemple. L’augmentation du nombre de trains circulant sur le réseau transalpin a permis de contrebalancer les pertes liées à la baisse du coût des péages.
Les interrogations sont aussi fortes du côté du fret. Le documentaire nous permet ainsi de rencontrer, dans une cité cheminote à Miramas, l’héritier d’une longue tradition familiale dans les chemins de fer. Aujourd’hui, l’activité de fret est en pleine crise à Miramas, comme ailleurs et tout un monde semble sur le point de disparaître. Nostalgie… et l’occasion de voir (ou revoir) quelques images de L’Enfer, le film maudit d’Henri-Georges Clouzot, resté inachevé et qui mettaient en scène Romy Schneider et Serge Reggiani à l’ombre du viaduc de Garabit.
A voir sur France Télévision en rediffusion. Le monde en face – Train. La nouvelle bataille du rail de Marie Lorand. Maximal Productions. (2023)
Même si « le défi est immense », il doit être relevé avec succès dans l’intérêt de la grandeur de l’idéal ferroviaire.