Le magazine d’Arte, Invitation au voyage, nous plonge ce jeudi dans une page d’histoire particulièrement sombre de la colonisation française. En 1921, dans le but de rallier Brazzaville à l’Atlantique, le pouvoir colonial français se lance dans un projet titanesque afin d’assurer l’exploitation de ses possessions : la construction du chemin de fer Congo-Océan (CFCO), une ligne de plus de 500 kilomètres de voies reliant Brazzaville à Pointe-Noire.
Cette infrastructure de transport est présentée comme essentielle pour permettre l’exploitation de ces colonies isolées. Raphaël Antonetti, gouverneur général de l’Afrique-Équatoriale française (AEF), dirige les opérations d’une main de fer, sans se soucier des conséquences. Alors que le travail forcé demeure la norme dans les colonies françaises, les populations locales sont mises à la disposition des entreprises par l’administration. Le chantier traverse le terrible massif du Mayombe, accidenté et couvert par une forêt équatoriale particulièrement hostile. Les ouvriers doivent traverser une centaine de kilomètres de cet « enfer vert », au milieu des nuées de moustiques, des serpents et des bêtes sauvages.
Un historien local explique : « La France n’utilise pas la machine, pensant que la force noire physique pouvait arriver à bout de ce travail ». Le chantier demande de plus en plus de bras. Toutes les taches s’exécutent à la seule force des mains. On déracine les arbres à la hache, on perce les tunnels à la pioche, on transporte les rails à bout de bras. Le travail est harassant. Des camps sont installés sur les chantiers pour loger ces milliers de travailleurs venus parfois de très loin, certains sont même recrutés au Tchad. Ces installations sont de véritables mouroirs. Le plus terrible de ces camps est édifié au kilomètre 102.
On estime à près de 20 000 le nombre de ces travailleurs décédés lors de la construction de l’infrastructure. De nombreuses familles congolaises ont été touchées par ces recrutements forcés. C’est dans ce contexte qu’André Gide arrive en Afrique. En juillet 1926, l’écrivain a passé 11 mois le long du fleuve Congo, dans les colonies françaises de l’Afrique équatoriale. L’occasion pour lui d’apporter un nouveau souffle à son inspiration littéraire. Avant son départ en Afrique, le romancier est convaincu des bienfaits de la colonisation, mais le spectacle de ces hommes squelettiques, corvéables à merci, bouscule ses certitudes. Sa description des conditions de vie de ces travailleurs forcés au Congo et au Tchad forme un véritable réquisitoire contre l’administration coloniale. A son retour en France en 1927, il publie Voyage au Congo aux éditions Gallimard. Il s’y interroge : « Le chemin de fer Brazzaville Océan est un effroyable consommateur de vies humaines. (…) À combien de décès nouveaux la colonie devra-t-elle son bien-être futur ? »
Le retentissement de son récit est tel que le haut fonctionnaire Raphaël Antonetti est convoqué. Mais le chantier continue… plus ou moins dans les mêmes conditions. L’enjeu économique occulte toutes considérations morales. Quand la ligne est inaugurée en grande pompe, en 1934, les officiels n’ont pas un mot pour les ouvriers africains. Et ce drame se reproduira ailleurs… La France ne se décide à abolir le travail forcé dans ses colonies qu’en 1946.
Jeudi 21 septembre à 17 h 20 sur Arte. Invitation au voyage – Au Congo, le train mangeur d’hommes. ARTE France, Eléphant Doc. (2023)