Une nouvelle section animée par vous et pour vous, elle va nous permettre de revisiter l’histoire cheminote. Celle d’il y a 10, 20, 30, 40 ans…
Profitez de nos archives en nous signalant ce que vous souhaitez relire et redécouvrir. Retrouvez les nouveaux matériels, les grands travaux, les événements qui ont marqué la SNCF… Une plongée dans l’aventure du rail.
Faites-nous savoir vos envies dès à présent en nous écrivant au 29, rue de Clichy, 75009 Paris ou par mail à : margaux.maynard@laviedurail.com
61)Paris – Cherbourg Vers la relève des Pacific par les nouvelles locomotives diesels-électriques (cet article a été publié dans La Vie du Rail il y a 57 ans)
La ligne Paris – Cherbourg figure parmi certaines lignes relativement importantes telles que Paris – Bale, Paris – Clermont, etc., dont l’électrification n’est pas envisagée. La remorque des trains Paris – Cherbourg est confiée, depuis bien longtemps déjà, aux vaillantes locomotives à vapeur Pacific, bien connues de nos lecteurs, dont nous rappellerons seulement qu’elles ont été construites de 1914 à 1922 et modernisées – selon différentes variantes – peu avant ou peu après la Seconde Guerre mondiale.
La relève par des locomotives diesels de cette « vieille garde » engagée sur une ligne au profil difficile constituait, il y a peu de temps encore, un délicat problème. La puissance maximale que peuvent développer les Pacific au crochet (en palier) est d’environ 1 850 kW (2 500 ch) : cette puissance est effectivement mise en jeu temporairement au cours de la remorque des express lourds (550 et 600 t jusqu’à Caen, 450 t de Caen à Cherbourg) sur cette ligne au profil assez difficile où les longues rampes de 10 mm/m ne sont pas rares.
Il fallait naturellement disposer, en diesel, d’une capacité de traction au moins équivalente. Or il y a lieu de souligner que la puissance annoncée pour les locomotives diesels est toujours mesurée à la sortie de l’arbre du moteur thermique, alors que celle des locomotives électriques et à vapeur s’exprime au crochet ou le plus souvent à la jante des roues motrices. Pour une locomotive diesel, la puissance à la jante est en général de 20 à 25 % inférieure à la puissance nominale du moteur.
La puissance au crochet des Pacific ne pouvait donc être obtenue avec les locomotives diesels actuellement en service (64000, 65000 ou 66000), à moins de recourir à la double traction.
Encore convient-il de remarquer que les locomotives CC 64000, équipées d’un moteur 2 000 ch du type « lent », robuste mais lourd et cher, sont spécifiquement des machines « marchandises » (vitesse limite 75 km/h).
Les locomotives CC 65 000 de La Rochelle, première réalisation française de la machine diesel de ligne, doivent une certaine complication et une faible puissance massique (1 325 kW pour 112 t) à l’existence de deux groupes moteurs génératrices, imposée par l’état de la technique du moteur rapide au moment de leur construction (1955), il ne saurait être question aujourd’hui de reproduire des machines bimoteur dans cette gamme de puissances.
Un couplage de deux locomotives 66000 de 1 000 kW serait resté en deçà de la puissance nécessaire, tout en imposant l’addition d’un fourgon-chaudière.
Or deux nouveaux moteurs diesels français, apparus récemment sur le marché, ont ouvert des possibilités intéressantes pour la grande traction diesel :
– le type 16 PA 4, 16 cylindres, 1 470 kW à 1 500 tr/mn de la Société générale de constructions mécaniques à La Courneuve (SGCM) – aujourd’hui Chantiers de l’Atlantique –, dérivé du moteur de 970 kW à 12 cylindres en service sur 13 BB 66300 ;
– le type 12 LVA 24, 12 cylindres, 1 950 kW à 1 050 tr/mn, de la Compagnie de construction mécanique, procédés Sulzer, dérivé du 8 cylindres déjà monté sur deux BB 66500.
Les nouveaux moteurs SGCM et Sulzer, prévus à l’origine pour 1 470 kW (2 000 ch) et 1 950 kW (250 ch) doivent être portés respectivement à 1 760 kW (2 400 ch) et 2 210 kW (3 000 ch).
Deux types de locomotives diesels-électriques, équipées de l’un ou l’autre de ces moteurs auxquels s’est ajouté récemment le moteur AGO de la Société Alsacienne, 12 cylindres, 1 350 tr/mn, 1 900/2 200 kW, ont été commandés par la SNCF.
Les têtes de série effectuent actuellement leurs essais sur diverses lignes difficiles du réseau français :
– la BB 67001 à moteur (63 unités en commande) ;
– la A1AA1A 68001 à moteur Sulzer (61 unités en commande : 59 à moteur Sulzer et huit à moteur AGO).
Ce dernier type de locomotive apportait une solution au problème de la diésélisation de la ligne Paris Cherbourg :
– sa puissance nominale atteint l’ordre de grandeur nécessaire ;
– les quatre essieux moteurs assurent une excellente utilisation de cette puissance dans les reprises de vitesse et la montée des rampes ;
– le poids modéré de la locomotive (106 t en ordre de marche contre près de 160 pour l’ensemble 231 D 400 + tender 22500 dans les mêmes conditions) améliore le rapport effort au crochet/effort à la jante sur les fortes rampes de la ligne ;
– la chaudière automatique de 1 300 kg de vapeur/heure installée sur la 68000 permet de chauffer au moins une douzaine de voitures et pratiquement une quinzaine dans un pays comme la Normandie où l’hiver n’est généralement pas rigoureux ;
– enfin, en cas de nécessité, les 68000 peuvent être utilisées en double traction avec commande à partir du poste de conduite de tête.
Afin de vérifier les possibilités réelles de cette locomotive avec une rame de voitures de même composition que le train 301 : 550 t de Paris à Caen, 450 t de Caen à Cherbourg, un train spécial a été mis en circulation le 8 juillet 1963, avec la marche suivante tracée à la limite des courbes de performances indiquées par les constructeurs ;
– Paris Saint Lazare à Caen, sans arrêt intermédiaire en 2 heures 16 contre 2 heures 43 actuellement ;
– Caen à Cherbourg, sans arrêt intermédiaire, en 1 heure 9 ;
– Cherbourg à Caen, sans arrêt intermédiaire, en 1 heure 12 ;
– Caen à Paris Saint Lazare, sans arrêt intermédiaire, en 2 heures 19.
La 68001 s’est fort bien acquittée du programme sévère qu’on lui avait imposé. Bien entendu, il s’agit là de performances limites, et par la suite, en service régulier, ces temps devront être « détendus », pour ménager la marge de régularité indispensable.
L’étude des locomotives A1AA1A 68000 a été réalisée sous les directives de la division des Études de traction à moteurs thermiques de la SNCF par :
– la Compagnie des Ateliers et Forges de la Loire, pour la partie mécanique ;
– la Compagnie ÉlectroMécanique, pour la transmission électrique ;
– la Compagnie de Construction mécanique (procédés Sulzer), pour le moteur diesel. La fabrication a été ensuite entreprise par ces trois constructeurs avec la participation de la Société Fives Lille Cail pour les essieux.
Le montage général des locomotives est effectué dans les ateliers de Saint-Chamond de la Compagnie des Ateliers et Forges de la Loire.
Les particularités de ces locomotives sont les suivantes :
– les bogies étant du type A1A, la charge par essieu moteur peut être réglée à 18 ou 20 t selon les voies où la locomotive est destinée à circuler ;
– des dispositions spéciales, sur lesquelles nous reviendrons plus loin, permettent d’améliorer l’adhérence de la locomotive au démarrage ;
– la transmission du mouvement aux essieux se fait par système élastique ;
– la puissance du moteur diesel, qui est actuellement de 1 950 kW, doit être portée dans un proche avenir à 2 200 kW ;
– la transmission électrique à régulation entièrement automatique permet de transmettre la pleine puissance aux essieux entre 20 et 130 km/h sans changement de couplage ni de régime.
Partie mécanique
La charpente de caisse de cette locomotive est constituée par un châssis et des faces autoportantes à ossature en « treillis » reliées solidement au châssis et entretoisées à leur partie supérieure par les courbes de pavillon. Les éléments résistants de la caisse : profils pliés, profilés et tôles sont assemblés par soudure.
Pour mieux utiliser la place disponible, les éléments de pavillon, entièrement démontables, constituent des ensembles où sont logés des accessoires ou des auxiliaires des équipements principaux. La caisse repose sur les bogies par l’intermédiaire de quatre bielles suspendues à deux traverses de charge reliées longitudinalement au châssis de caisse par des biellettes. Deux groupes de blocs en caoutchouc sont interposés entre la traverse de charge et le châssis de bogie auxquels ils sont fixés ; leur flexibilité dans le sens vertical assure la suspension de caisse et leur élasticité dans le sens longitudinal permet le pivotement du bogie autour de son axe. Les charges dues au poids de la caisse sont transmises au châssis de bogie sans provoquer de forces de frottement qui gêneraient l’inscription du bogie en courbe. Cette suspension est complétée par des patins de friction destinés à amortir les mouvements de lacet.
Le châssis de bogie du type en H repose lui-même sur les essieux par des ressorts en hélice et des boîtes à roulements à rouleaux (SKF pour les essieux moteurs à fusées extérieures et Timken pour les essieux porteurs à fusées intérieures).
Les moteurs de traction sont semi-suspendus sur un arbre creux qui entraîne l’essieu moteur par l’intermédiaire d’éléments en caoutchouc logés dans des boîtiers fixés aux roues. Ces éléments en caoutchouc donnent à la transmission du couple moteur l’élasticité souhaitable et protègent en même temps les moteurs de traction des chocs dus à la voie.
La recherche d’une bonne utilisation du poids adhérent des essieux moteurs a inspiré plusieurs dispositions intéressantes de la machine La répartition des masses entre les essieux moteurs et l’essieu porteur de chaque bogie est normalement la suivante 18 t, 17 t, 18 t. Mais lorsque la locomotive doit circuler sur des voies dont l’armement le permet, le dépôt peut, en supprimant une cale de 45 mm placée sous l’assiette de chaque ressort extérieur de l’essieu porteur, obtenir la répartition : 20 t, 13 t, 20 t, d’où une augmentation de 11 % du poids adhérent. D’autre part, le « cabrage » des essieux avant au démarrage est efficacement combattu. On sait, en effet, que lorsqu’une locomotive démarre, le fait que l’effort des roues motrices sur le rail et l’effort résistant (résistance du train exercée sur le crochet de traction et force d’inertie de la locomotive appliquée au centre de gravité) ne sont pas dans le prolongement l’un de l’autre, crée un couple qui tend à appuyer la machine sur l’arrière et à décharger son avant ; le même phénomène se produit entre l’essieu avant et l’essieu arrière de chaque bogie, d’où risque de patinage pour les essieux déchargés.
Le déséquilibre au démarrage entre les deux essieux de chaque bogie est pallié en plaçant aussi bas que possible la barre de traction reliant le bogie au châssis de la locomotive. C’est le dispositif de « traction basse » appliqué sur toutes les locomotives électriques récentes de la SNCF. Ici, un raffinement du système assure une compensation intégrale du déséquilibre, comme si la barre de traction était réellement au niveau du rail.
Quant au déséquilibre entre bogies, qui a pour effet, au démarrage sous effort maximum, de transférer environ 3 t de charge du bogie avant au bogie arrière, il est combattu non pas dans son principe, mais dans ses effets, par un dispositif automatique de décharge de l’essieu porteur du bogie avant : les 5 t dont celui-ci est allégé se reportent sur les essieux moteurs voisins ; le poids adhérent de la machine est ainsi temporairement augmenté de 8 t, 3 t sur les essieux moteurs du bogie arrière par l’effet du cabrage et 5 t sur les essieux moteurs du bogie avant grâce au dispositif de compensation.
Le report d’une partie de la charge de l’essieu porteur sur les essieux moteurs est obtenu en envoyant de l’air sous le piston P de chacun des quatre cylindres C installés au-dessus et dans l’axe de chaque jeu de ressorts de l’essieu porteur. Le piston P tire sur le câble qui le relie à la vis A solidaire de l’écrou D ; cet écrou prend appui, par l’intermédiaire du cône E, sur l’assiette inférieure B du ressort intérieur et la soulève, annulant ainsi l’action de ce ressort.
Ce dispositif agit donc indépendamment du réglage permanent de la charge de l’essieu porteur, opéré par calage du ressort extérieur.
Pendant les périodes de démarrage, et tant que l’intensité débitée par la génératrice principale est supérieure à 2 700 A, ce qui correspond à un effort à la jante un peu plus élevé que celui de régime continu, l’électrovalve de déchargement de l’essieu porteur du bogie avant se trouve sous tension.
Il s’agit là d’un dispositif qui, appliqué à des locomotives plus puissantes, pourrait se révéler fort précieux.
Moteur diesel
La nouvelle série de moteurs Sulzer en V, mise en fabrication en 1958 dans les Ateliers de Mantes de la CCM, procédés Sulzer, comporte des moteurs à 8, 12 et 16 cylindres, fonctionnant suivant le cycle à quatre temps avec injection directe de combustible, suralimentation par turbosoufflante Sulzer et refroidissement intermédiaire de l’air de combustion. (Voir tableau dans le carousel d’image ci-dessus).
Régulation Sulzer
Les moteurs LVA 24 sont équipés avec la régulation Sulzer classique à fonctions multiples telles que :
– protection contre chute de pression, manque d’air de suralimentation ou de courant de contrôle ;
– réalisation d’une courbe de gradation de puissance optimum ;
– variation progressive et contrôle automatique de la puissance avec protection contre toute surcharge, etc.
Transmission électrique
La transmission électrique CEM comporte essentiellement une génératrice principale à trois enroulements de 2 600 kW de puissance de dimensionnement à 1 100 tr/mn, qui alimente, en courant continu quatre moteurs de traction à excitation série, couplés en parallèle.
– La génératrice principale à un seul palier est à accouplement rigide avec le moteur diesel sur lequel elle est flasquée.
– Les quatre moteurs de traction sont du type semi-suspendu pour attaque des essieux par transmission à arbres creux et plots élastiques.
– Les circuits auxiliaires et de contrôle sont alimentés par une génératrice auxiliaire de 20 kW à tension constante de 80 V, entraînée depuis la génératrice principale par courroies.
– La commande de la traction s’effectue à l’aide d’un manipulateur à deux positions « ArrêtMarche », avec sur cette dernière, deux possibilités d’impulsion « plus vite », « moins vite ». Pour démarrer, le conducteur amène son volant sur « marche », le diesel étant au ralenti, la locomotive démarre lentement si elle est LHP, c’est le cran d’accostage ; pour démarrer un train, le conducteur donne une impulsion sur « Plus vite », le diesel est porté à 600 tr/mn, et l’effort à la jante est progressivement établi en 40 crans automatiques.
Pour continuer son démarrage, le conducteur maintient son volant sur « Plus vite » et le diesel accélère jusqu’à son maximum ; en marche normale, le conducteur règle la vitesse de son convoi par impulsions sur « Plus vite » ou « Moins vite ».
La transmission CEM, entièrement automatique, ne demande au mécanicien que le minimum de manoeuvres. Les mêmes préoccupations de simplicité et de souplesse de manoeuvre apparaissent dans l’équipement de frein, du type « presse-bouton ».
Parmi les personnalités et techniciens qui assistaient, autour de M. Lecoanet, directeur de la Région Ouest, à cette marche d’essai, on pouvait noter la présence de : MM. C. Martin, directeur du Matériel et de la Traction ; Trede, chef du service de la Voie et des Bâtiments, Ouest ; Haffner, ingénieur en chef, représentant M. Kipler, chef du service du Matériel et de la Traction, Ouest ; Bailly, Renot et Tessier, ingénieurs en chef ; Liot et Pécresse, ingénieurs principaux ; les chefs des arrondissements intéressés et MM. Brun, Charlet et Segaud, ingénieurs.
Les représentants des constructeurs, MM. D. Caire, de l’AFAC et Billy, de La Vie du Rail, étaient également présents.
Caractéristiques principales du moteur 12 LVA 24 monté sur la 68001
Type de moteur
Nombre de cylindres : 12
Disposition des cylindres : V (50°)
Alésage : 240 mm
Course : 280 mm
Puissance
Puissance continue UIC : 1 950 kW
Régime : 1 050 tr/mn
Vitesse des pistons : 9,8 m/s
Puissance escomptée : 2 200 kW
Poids du moteur (sans eau ni huile) : 14 400 kg
Le poids par cheval est de l’ordre de : 5,4 kg, ce qui est faible pour des engins construits pour durer et pour permettre un large espacement entre les révisions.
Cet article est tiré du numéro 912 de La Vie du Rail paru le 15 septembre 1963 dont voici la couverture :