Le 26 septembre, les deux groupes Alstom et Siemens annonçaient la fusion de leurs activités ferroviaires. Dans la tribune qui suit, Gilles Savary, grand connaisseur du rail, donne son avis sur cette fusion, certes nécessaire mais dont on ne connaît pas toutes les conséquences. La Vie du Rail reviendra sur cette fusion au fil de sa concrétisation.
Lancée par une tribune publique de quatre parlementaires français reprise par Alain Juppé, l’idée de création d’un Airbus du rail se profile au moment où l’on ne l’attendait pas.
Comme souvent en matière européenne, à l’instar du traité constitutionnel européen en 2005, cette idée française fait l’objet de vives oppositions et controverses françaises.
En cédant de fait ses « parts optionnelles » dans Alstom Transport à Siemens, l’État français est accusé de privilégier une aventure étrangère aux dépens d’un champion français.
S’il est une chose qui n’est pas contestée, c’est la nécessité, et même l’urgence, d’une consolidation d’Alstom Transport face aux géants asiatiques qui pointent leur nez sur le marché européen. Le japonais Hitachi a déjà mis un pied en Europe en absorbant l’essentiel des activités ferroviaires de l’italien Ansaldo et en vendant des trains à grande vitesse à la Grande-Bretagne. Il contrôle désormais l’entreprise de signalisation italienne Ansaldo STS, leader du fameux système de signalisation ferroviaire ERTMS. C’est une entreprise de Hongkong, MTR Corporation, qui a délogé le français Veolia du métro de Stockholm. La fusion des deux opérateurs chinois CSR et CNR, le 30 décembre 2014, en un géant mondial redoutable, déjà très impliqué dans la création d’une prometteuse « Route de la soie ferroviaire » entre la Chine et Hambourg, et qui a mis la main sur les activités ferroviaires du tchèque Skoda, ne pouvait laisser les Européens indifférents. Une fusion entre Siemens et Alstom est infiniment préférable au « picorage » asiatique d’une industrie européenne en ordre dispersée, et à l’éventualité d’un rapprochement opportuniste entre Siemens et les Chinois. Et s’il faut envisager ultérieurement de prendre pied en Asie, le nouveau groupe européen disposera des moyens d’une telle ambition, qui n’est pas aujourd’hui à la portée de nos « champions nationaux » européens.
Berceau du chemin de fer, l’Europe ne comptait pas moins d’une quinzaine de producteurs de matériels roulants ferroviaires, pour la plupart autocentrés sur leurs étroits marchés domestiques, avant que les industriels asiatiques ne s’y intéressent pour en faire leurs têtes de pont européennes.
Alstom Transport est dans une position intermédiaire un peu paradoxale. Particulièrement dynamiques et offensives sur les marchés extérieurs avec un carnet de commandes de l’ordre de 24 milliards d’euros, ses usines françaises quasi exclusivement dédiées au marché intérieur avec une gamme limitée à deux trains, le Régiolis pour les TER et le TGV pour les grandes lignes, sont confrontées à l’épuisement du modèle économique du TGV, et par conséquent de son « droit de tirage » politique sur une SNCF surendettée par l’investissement en LGV, qui a dû de surcroît déprécier plus de 12 milliards d’actifs en 2016 du fait d’un « suréquipement » en TGV.