Révolution silencieuse dans le transport transmanche : mis en service le 20 novembre dernier, le nouveau train à grande vitesse e320 construit par Siemens pour Eurostar assure désormais la majorité des relations entre Paris et Londres.
Si vous n’avez pas voyagé par Eurostar entre Paris et Londres ces derniers mois, il y a de fortes chances que vous ayez une surprise lors de votre prochain embarquement. Car la majorité des dessertes entre ces deux capitales est désormais assurée par le nouveau train e320. Un nom qui symbolise sa vitesse maximale, légèrement plus élevée que les 300 km/h des rames TMST (Trans Manche Super Train) de 1994 – des rames dérivées du TGV construites alors par GEC Alsthom, ANF, BN, ACEC, Brush et De Dietrich. Et, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur, le changement est total. Autant que l’arrivée de ce tout nouveau type de train, c’est la rapidité de sa généralisation qui a été spectaculaire. Après une révision du calendrier, il est vrai : en 2010, lors de la signature de la commande passée à Siemens, Eurostar visait une mise en service en 2014. Une année dont le mois de novembre aura vu la présentation médiatisée d’une première rame à Londres. Mais il faudra attendre une année de plus avant la discrète arrivée du premier train régulier à Paris, le 20 novembre dernier. C’est ensuite que le changement s’est accéléré : désormais, sur Paris – Londres, quatre trains sur cinq sont des e320. Et de 10 rames initialement, le contrat avec Siemens a été porté en 2014 à 17 unités. Dans le monde des trains à grande vitesse, le service transmanche Eurostar occupe une place à part : en gare avec les contrôles préalables et des espaces dédiés, à bord avec un personnel libéré des tâches de contrôle des billets et sous la Manche avec une vingtaine de minutes en tunnel.
Par ces côtés, on n’est pas loin d’un service de type aérien, en plus souple toutefois (par exemple, dans les aéroports britanniques, un contrôle d’identité est pratiqué à l’arrivée, ce qui n’est pas le cas à la gare londonienne de Saint Pancras). Ceci oblige à maintenir une qualité de service comparable à celle de l’aérien. « L’image d’Eurostar est belle et il faut répondre aux exigences de la clientèle », résume Philippe Dabancourt, directeur des Services ferroviaires (director of Train Services) d’Eurostar. Basé à la control room de Lille, il suit en direct le bon déroulé des circulations entre Londres et Bruxelles ou Paris, voire plus loin sur le continent. Des circulations sur lesquelles la fréquentation se maintient depuis 2014 à plus de 10 millions de voyageurs transmanche annuels (c’est-à-dire sans compter les voyageurs fréquents « intra-Schengen » entre Bruxelles et Lille). « Le but est de continuer d’augmenter », ajoute Philippe Dabancourt et le nouveau train e320, qui offre davantage de places que les rames TMST, « est un modèle d’expansion ». Cet été, neuf des 10 rames e320 sont en service entre Paris et Londres, la dixième effectuant depuis ce printemps des essais aux Pays-Bas. Les sept rames restantes sont attendues pour fin 2017, échéance à laquelle doit ouvrir la liaison entre Londres, Bruxelles et Amsterdam, avec arrêt à l’aéroport de Schiphol entre autres.
De nouveaux trains plus capacitaires, avec près de 900 places assises au lieu de 750, ce sont davantage de voyageurs à gérer lors de chaque embarquement. Au point que la demi-heure d’avance demandée à l’enregistrement se révèle parfois très « juste » pour garantir que tous soient installés dans le train à l’heure prévue pour le départ ! « La fréquentation que l’on constatait les jours de pointe, dans les 39 000-40 000 clients par jour, est maintenant devenue la norme et est bien gérée », rassure Philippe Dabancourt : « Maintenant, un jour de pointe, c’est jusqu’à 42 000-43 000 clients. » C’est pourquoi « un programme a débuté pour la rénovation des terminaux, avec Gares & Connexions et Network Rail [le gestionnaire d’infrastructures britannique], afin d’améliorer la gestion des flux et d’augmenter la capacité de ces terminaux ». Sur les voies 3 à 6 de la gare de Paris-Nord comme sous la verrière de Saint Pancras, le nouveau train a pris ses marques. Du moins au sens figuré. Car au sens propre, sur les quais, les marques signalant aux voyageurs les accès aux 18 voitures des rames TMST ne correspondent évidemment pas aux portes des 16 voitures que comptent les rames e320. « Nous nous sommes posé la question des marquages au sol, mais nous avions surestimé le problème : il y a déjà des affichages bien lisibles aux entrées des différentes voitures », répond Philippe Dabancourt.
Autre détail concernant les accès : en bout de quai à la gare du Nord, « pour le confort client », les voyageurs ayant une place réservée en voiture 1 doivent monter… en voiture 2, dotée de deux portes. Il est vrai qu’avec les TMST, les voyageurs n’avaient pas besoin d’aller en bout de quai, la première voiture accessible se trouvant derrière une motrice occupant les 23 premiers mètres ! D’ailleurs, la plus grande longueur des rames e320 (398,9 m contre 393,7 m pour les TMST) a entraîné des modifications dans la gare parisienne, tel l’ajout de miroirs en bout de voie « pour que les conducteurs s’arrêtent au plus près du heurtoir » ou la nouvelle position des signaux de sortie en voie 3. Des modifications ont également été nécessaires au technicentre de Temple Mills International, côté britannique, ainsi qu’aux autres sites concernés par l’arrivée de ces rames de composition totalement différente (16 voitures sur deux bogies chacune au lieu de deux demi-rames articulées type TGV). Y compris aux portes de Paris : « avec les nouvelles rames, le site du Landy va monter en puissance », annonce Philippe Dabancourt. Parallèlement aux modifications sur les installations, les rames elles-mêmes étaient livrées par l’usine Siemens de Krefeld. « En ferroviaire, aucune mise en service n’est un long fleuve tranquille », rappelle le directeur des Services ferroviaires d’Eurostar. Immanquablement, des incidents se sont produits durant les premiers mois de service des e320, entraînant des retards, voire des remplacements par des rames TMST. «Mais ce sont des rames bien nées.
On passe d’une conception encore très électrotechnique à de l’informatique. Les équipages s’y sont rapidement habitués et les conducteurs préfèrent maintenant les e320. Les chefs de bord sont à l’aise. Et comme il y a beaucoup de redondances, la fiabilité est bonne. On est dans le système industriel. » Surtout, le changement a été exceptionnellement rapide : « Le centre de gravité a basculé fin janvier », estime Philippe Dabancourt. Pour cela, « nous avons calé l’offre : nous n’avions pas les 10 rames livrées en novembre, alors que nous avions encore besoin de rames pour assurer la formation des conducteurs et des dépôts de maintenance ». C’est sur cette formation qu’Eurostar « a beaucoup misé depuis 2015 », tout en prenant garde à « ne pas former trop tôt le personnel » ! Par exemple, « la formation des conducteurs n’a commencé qu’en septembre 2015, afin qu’ils n’oublient pas tout pendant les vacances ! » Maintenant, tous les personnels – sauf belges – sont aptes aux deux types de rames. Toutefois, les roulements des rames et des agents « restent variés pour ne pas perdre la compétence ». D’autant plus que si le parc de rames TMST est appelé à être réduit, il ne va pas disparaître pour autant : 10 de ces rames mises en service en 1994 et déjà modernisées au milieu de la décennie précédente commencent à entamer une deuxième vie sous l’appellation e300. Patrick